Fief, de David Lopez

Ma bibliothèque organise un cercle de lecture auquel je participe avec bonheur. Tous les ans, les membres sont invités à découvrir les romans de la sélection du Prix du Livre Inter, ce qui me sort énormément de ma zone de confort/plaisir habituelle... Cette année il y avait un peu de tout, mais surtout un vrai coup de coeur pour moi : Fief, un premier roman.

J'ai immédiatement été en empathie totale avec le narrateur, un jeune homme dont la vie étriquée tourne autour de la boxe et de l'herbe. L'endroit où il vit, cette petite bourgade ni rurale ni urbaine, juste assez proche et éloignée de Paris pour en sentir l'attraction sans en faire partie, voilà qui me rappelle étonnamment ma ville natale ! Après enquête, l'auteur a grandi à Nemours, donc ce n'était pas loin ...

Jonas, le narrateur, glandouille parmi ses copains tchacheurs et plus ou moins dealers, au chaud dans cette bande qui constitue son seul horizon. Bien sûr, s'il s'entrainait un peu plus, un peu mieux, peut-être pourrait-il briller en tant que boxeur... mais la peur de l'échec, voire la peur de la réussite, le retient. On ne perd pas si on ne joue pas... mais on reste dans un présent morne et bouché, dans cette petite vie aussi stérile que celle de son père.

Le style est oral, dans la langue syncopée des "jeunes d'aujourd'hui". J'ai trouvé l'écriture de Lopez très sincère et respectueuse, bien que je comprenne tout à fait qu'elle puisse rebuter les amateurs d'une langue plus classique. La transition entre la transcription des dialogues, empreints de cet argot, et les pensées plus personnelles et chatiées de Jonas est subtile. Elle permet de prendre conscience de la façon dont Jonas se "met à niveau" des autres... qui en font peut-être autant de leur côté, ce qui les enferme tous dans ce fief de la langue.

Le fief, c'est aussi le territoire, celui du vassal qui ne peut pas sortir des limites sans danger. Ce territoire est extrèmement réduit : quelques rues, un quartier... car le quartier d'à côté, c'est déjà le fief d'une autre bande. La virée des jeunes dans la ville "friquée" du coin (au hasard : Fontainebleau?) met en évidence leur sentiment d'être étrangers dans leur propre pays... A noter que la bande n'est pas issue d'un quartier difficile d'une cité, simplement d'un lotissement très ordinaire.

C'est un roman qui peut être difficile à lire, mais très juste sur la description des sentiments, d'un style très maitrisé, et aussi très drôle par moments. Seuls les combats de boxe m'ont moins captivée, mais ils ont leur intérêt pour comprendre le personnage.

Finalement Fief a reçu le prix du livre Inter, ce qui est largement mérité à mon avis.